Éthique
Le monde du handicap et de la santé mentale s'inquiète du tri en réanimation
L'accès aux services de réanimation en période épidémique fait craindre une généralisation des discriminations aux acteurs de l'accompagnement de personnes en situation de handicap et des établissements psychiatriques.Dans une décision du 15 avril, le Conseil d'État estime qu'il n'existe pas de discrimination sur l'accès aux soins de réanimation pour les résidents d'Ehpad comme les malades chroniques. Pour la cour, les décisions médicales ne sont pas plus strictes dans le contexte épidémique. Si cette décision porte sur la question de l'âge, dans le secteur médico-social, la question d'un éventuel tri en fonction du handicap est également prégnante depuis le début de l'épidémie.
Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, avait profité d'une conférence de presse sur l'accès aux soins des personnes handicapées, le 4 avril dernier, pour condamner "avec la plus grande fermeté" tout potentiel tri (lire notre article) : "Le handicap ne doit pas être un critère de refus de soins, que l'on parle d'une hospitalisation simple ou d'une réanimation." Appelant à lever tout obstacle à leur admission pour ce seul motif, le ministre a notamment annoncé la mise en place d'une filière d'accès direct Covid-19.
Bien que "non majoritaires" — Jean-Louis Garcia, président de l'Apajh, évoque "cinq à six cas" portés à sa connaissance —, ces situations, portent le spectre d'une généralisation avec l'intensification de l'épidémie, avec toutes les difficultés qui s'y rattachent. "Dans la plupart des établissements [...] il n'y a pas de possibilité de réaliser des soins liés à la fin de vie, au Covid, à la réanimation, il n'y a pas d'équipes de soins palliatifs dédiées... Ces situations font naître de fortes craintes qui voudraient qu'on laisse mourir les personnes en établissement parce qu'on ne voudrait pas, en raison de leur handicap, les hospitaliser", poursuit Arnaud de Broca en évoquant également la situation des Ehpad, où certaines structures vivraient des "situations tragiques" faute d'appui des hôpitaux.
Pour Prosper Teboul, directeur général d'APF France handicap, les soupçons reposent sur les outils qu'utilisent les Samu pour l'orientation, et tout particulièrement la grille Aggir. "Aujourd'hui le Samu demande à se référer à la grille pour évaluer le niveau d'autonomie et de dépendance pour en faire un critère d'admission ou non. Il ne faut pas que les critères médicaux de vulnérabilité puissent prendre le pas sur le droit d'accès aux soins et servir de critères d'exclusion des soins au lieu de produire des soins renforcés", alerte-t-il en appelant au principe d'équité et à la dignité des personnes. Sur cette question des critères, la Société française d'anesthésie-réanimation estime, dans ses recommandations, que "les ressources rares doivent être allouées sans discrimination, portant par exemple sur l'âge, le sexe, la nationalité, l'origine géographique, la position sociale, la situation économique ou l'existence d'un handicap : aucun de ces critères pris isolément ne saurait suffire à justifier une inégalité d'accès aux soins, même si l'âge comme l'existence d'un handicap sont nécessairement intégrés à une réflexion sur le pronostic".
Et Marie-Jeanne Richard, présidente de l'Unafam, de plaider pour les petites structures. Si selon elle les hôpitaux psychiatriques parviennent à se battre pour que leurs patients soient hospitalisés "parce qu'ils connaissent le secteur hospitalier et parlent de médecin à médecin, c'est plus compliqué dans une résidence".
De leur côté, le Collège national universitaire de psychiatrie, le Syndicat universitaire de psychiatrie et le Collège universitaire national des enseignants d'addictologie appelle, dans un communiqué commun, à une "éthique du soin et de la vulnérabilité" pour prévenir les discriminations contre les patients souffrant de pathologies psychiatriques. Il leur semble nécessaire d'insister sur les questions éthiques concernant leurs patients, en raison des préjugés sociétaux pouvant interférer la discussion collégiale. Ils notent par ailleurs que les patients en psychiatrie éprouvent des difficultés à rédiger leur directives anticipées.
"La décision [collégiale] doit être personnalisée tenant compte de la gravité clinique symptomatique actuelle et de l'état antérieur de santé et d'autonomie, ce qui dans le cas de patients présentant une pathologie psychiatrique ou un handicap psychique n'est pas aisé à évaluer par un non psychiatre", poursuivent-ils. À l'instar de l'association d'un gériatre à la prise de décision pour les patients âgés, ils plaident pour la présence d'un psychiatre pour les patients présentant une pathologie ou un handicap psychique.
Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, avait profité d'une conférence de presse sur l'accès aux soins des personnes handicapées, le 4 avril dernier, pour condamner "avec la plus grande fermeté" tout potentiel tri (lire notre article) : "Le handicap ne doit pas être un critère de refus de soins, que l'on parle d'une hospitalisation simple ou d'une réanimation." Appelant à lever tout obstacle à leur admission pour ce seul motif, le ministre a notamment annoncé la mise en place d'une filière d'accès direct Covid-19.
Crainte d'une généralisation
Cette précision du ministre visait à répondre aux préoccupations des différents acteurs. Le 30 mars dernier, le Collectif handicaps, représentant quarante-sept associations du secteur, a ainsi souligné par communiqué la "très forte inquiétude à l'idée d'un tri des patients à l'arrivée aux urgences et parfois en amont même par les services du 15 pour les personnes accueillies en établissement". Arnaud de Broca, président du collectif, a aussi évoqué auprès d'Hospimedia, le 2 avril dernier, des "tendances" et "des remontées qui font voir que l'on conseille aux personnes handicapées de rester en établissement sous prétexte qu'on aurait la possibilité d'y faire un certain nombre de soins."Bien que "non majoritaires" — Jean-Louis Garcia, président de l'Apajh, évoque "cinq à six cas" portés à sa connaissance —, ces situations, portent le spectre d'une généralisation avec l'intensification de l'épidémie, avec toutes les difficultés qui s'y rattachent. "Dans la plupart des établissements [...] il n'y a pas de possibilité de réaliser des soins liés à la fin de vie, au Covid, à la réanimation, il n'y a pas d'équipes de soins palliatifs dédiées... Ces situations font naître de fortes craintes qui voudraient qu'on laisse mourir les personnes en établissement parce qu'on ne voudrait pas, en raison de leur handicap, les hospitaliser", poursuit Arnaud de Broca en évoquant également la situation des Ehpad, où certaines structures vivraient des "situations tragiques" faute d'appui des hôpitaux.
Pour Prosper Teboul, directeur général d'APF France handicap, les soupçons reposent sur les outils qu'utilisent les Samu pour l'orientation, et tout particulièrement la grille Aggir. "Aujourd'hui le Samu demande à se référer à la grille pour évaluer le niveau d'autonomie et de dépendance pour en faire un critère d'admission ou non. Il ne faut pas que les critères médicaux de vulnérabilité puissent prendre le pas sur le droit d'accès aux soins et servir de critères d'exclusion des soins au lieu de produire des soins renforcés", alerte-t-il en appelant au principe d'équité et à la dignité des personnes. Sur cette question des critères, la Société française d'anesthésie-réanimation estime, dans ses recommandations, que "les ressources rares doivent être allouées sans discrimination, portant par exemple sur l'âge, le sexe, la nationalité, l'origine géographique, la position sociale, la situation économique ou l'existence d'un handicap : aucun de ces critères pris isolément ne saurait suffire à justifier une inégalité d'accès aux soins, même si l'âge comme l'existence d'un handicap sont nécessairement intégrés à une réflexion sur le pronostic".
Et Marie-Jeanne Richard, présidente de l'Unafam, de plaider pour les petites structures. Si selon elle les hôpitaux psychiatriques parviennent à se battre pour que leurs patients soient hospitalisés "parce qu'ils connaissent le secteur hospitalier et parlent de médecin à médecin, c'est plus compliqué dans une résidence".
La psychiatrie en mode sentinelle
Pourtant, du côté des établissements de santé spécialisés en psychiatrie, la vigilance demeure. Une veille épidémiologique a déjà été engagée, mais elle est renforcée par de nouvelles initiatives. Plusieurs associations d'étudiants et de jeunes praticiens en psychiatrie, anesthésie-réanimation et médecine générale lancent, le 14 avril, une enquête flash sur l'accès réel aux services de réanimation pour les personnes souffrant de troubles psychiques. "Il est de notre responsabilité commune de rester vigilants sur l'existence de situations échappant à ces règles éthiques et déontologiques de bonnes pratiques pour les personnes vivant avec un trouble psychique", estiment-elles.De leur côté, le Collège national universitaire de psychiatrie, le Syndicat universitaire de psychiatrie et le Collège universitaire national des enseignants d'addictologie appelle, dans un communiqué commun, à une "éthique du soin et de la vulnérabilité" pour prévenir les discriminations contre les patients souffrant de pathologies psychiatriques. Il leur semble nécessaire d'insister sur les questions éthiques concernant leurs patients, en raison des préjugés sociétaux pouvant interférer la discussion collégiale. Ils notent par ailleurs que les patients en psychiatrie éprouvent des difficultés à rédiger leur directives anticipées.
"La décision [collégiale] doit être personnalisée tenant compte de la gravité clinique symptomatique actuelle et de l'état antérieur de santé et d'autonomie, ce qui dans le cas de patients présentant une pathologie psychiatrique ou un handicap psychique n'est pas aisé à évaluer par un non psychiatre", poursuivent-ils. À l'instar de l'association d'un gériatre à la prise de décision pour les patients âgés, ils plaident pour la présence d'un psychiatre pour les patients présentant une pathologie ou un handicap psychique.