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"Préparez-vous car ça part vite, ça part fort et ça fait vraiment mal quand ça arrive !"

Colmar et Mulhouse, deux hôpitaux en pleine "guerre sanitaire" depuis trois semaines. Le premier retour d'expérience de leurs chefs des urgences auprès de la SFMU fait froid dans le dos mais s'avère riche d'enseignements. La priorité des anticipations, outre l'aspect matériel et bien avant les moyens humains, c'est l'environnement réanimatoire.
La crise du coronavirus oblige à repenser de manière réactive l'organisation des urgences (ici celles du CH d'Abbeville dans la Somme), dont la quasi totalité des espaces doivent devenir des zones exclusivement dévolues au Covid-19.
La crise du coronavirus oblige à repenser de manière réactive l'organisation des urgences (ici celles du CH d'Abbeville dans la Somme), dont la quasi totalité des espaces doivent devenir des zones exclusivement dévolues au Covid-19.

"Préparez-vous car ça part vite, ça part fort et ça fait vraiment mal quand ça arrive." Ce message clé, il vient du Dr Éric Thibaut, à la tête des urgences des Hôpitaux civils de Colmar (Haut-Rhin). À l'occasion le 20 mars d'un premier retour d'expérience proposé par la Société française de médecine d'urgence (SFMU), il intervenait au côté notamment du Dr Marc Noizet, son pendant au sein du groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace, situé à une cinquantaine de kilomètres. Deux récits prenants mais aussi "hallucinants" pour ne pas dire glaçants voire inquiétants pour ceux qui attendent l'inéluctable, à savoir l'arrivée prochaine dans leur hôpital — mais sans trop savoir quand — d'une déferlante de patients souffrant du Covid-19.

Un MAO "très agressif" pour le tri

Dans le Haut-Rhin, les deux urgentistes ont la "tête dans le guidon" depuis presque trois semaines (lire ici et nos articles). En l'espace de quelques jours début mars, tout a flambé avec depuis, les jours passant, des patients en état critique toujours plus nombreux qui nécessitent rapidement une intubation, une ventilation et donc des lits de réanimation. "Tous les jours on en intube un peu plus", glisse ainsi Marc Noizet, des patients presque tous avec un syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA). Sur la seule journée du 19 mars par exemple, il a recensé 25 intubations entre 8h et 22h. À Colmar, la tendance est à 12 intubations par jour "malgré des critères restrictifs" quand d'habitude il n'y en a quasi aucune. Des "norias d'hélicoptères" transfèrent les patients en dehors de Mulhouse mais rien n'y fait : les lits de réanimation, pourtant doublés en nombre et avoisinant près de 110 sur les deux hôpitaux, sont saturés en permanence.

La vraie difficulté, c'est l'espace. "Nous ne sommes pas débordés par des moyens humains mais par contraintes géographiques", relate Éric Thibaut. Pas la peine de renforcer de façon excessive les effectifs car "nous n'avons pas besoin de bras en plus". À Colmar, l'activité des urgences a chuté de moitié et 50% du reste est fléché Covid-19. Par contre, "nous avons besoin d'espaces, de chambres seules." Le tout s'organise à la hâte, en "catastrophe". Dès le début, les plans ont tôt fait d'être dépassés tous les un à deux patients. À ce jour à Colmar, l'unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD) et la zone médico-chirurgicale des urgences sont consacrées au coronavirus : seul l'espace alloué à la traumatologie sert aux "non-Covid". Un médecin d'accueil et d'orientation (MAO) "très agressif" est en outre positionné dans le sas des ambulances et décide "qui rentre qui repart" : "S'il n'y a aucun critère pour creuser, il n'y a pas de prélèvement et le patient repart et rappelle si ça ne va pas".

Échelonner les renforts dans le temps pour "souffler"

Face à la crise, "il y a une génération de bonne volonté mais il ne faut surtout pas faire venir les gens s'ils n'ont pas une fonction établie et si on n'a pas eu le temps de les former", prévient le Pr Patrick Goldstein. Pour celui qui pilote le pôle urgences du CHU de Lille (Nord), "cette augmentation du nombre d'intervenants doit se traduire par une gestion de planning pour que tout le monde trouve un poste. L'idée est de s'échelonner dans le temps. Cette crise va durer. Il ne faut pas griller toutes ses cartouches tout de suite. Il ne faut pas venir en plus de nos effectifs mais à un moment se substituer à eux pour souffler." En somme, une gestion sur la durée. À Colmar, les urgentistes asymptomatiques positifs au Covid-19 passent une quatorzaine en régulation. "Nous ne pouvons pas nous en priver s'ils ne sont pas hypersymptomatiques", note Éric Thibaut. Pourvus d'un masque et d'un casque audio désinfecté, ils reviennent aux urgences une fois cette mise à l'écart passée.

Le "simpliste" devient la règle

Toujours sur l'aspect immobilier, l'isolement devient rapidement complexe à gérer. Face au flux de malades, les fortes suspicions de coronavirus se retrouvent désormais en chambres doubles à Colmar en attente des résultats du test. "Nous sommes même obligés de mettre des malades suspects, dont nous n'avons pas encore l'imagerie et que nous n'avons pas encore vus, dans des zones d'attente où ils sont à plusieurs, avec le risque de se contaminer les uns et les autres. Maintenant, il faut aussi se dire que nos cas suspects, c'est pour 70 à 80% des Covid+", souligne Éric Thibaut. Autre souci majeur, la durée de réception des résultats biologiques : ils arrivent groupés par mails de Strasbourg (Bas-Rhin) en quatre vagues (15h, 18h, 21h et 23h). Ainsi, tous les prélèvements réalisés après 16h obligent à devoir patienter 15h le lendemain, ce qui dans l'attente désorganise l'isolement des gens.

Du coup, "nous faisons du simpliste", confie l'urgentiste. La radiologie est de mise. De toute façon, "il n'y a pas d'autres causes de pneumopathies interstitielles diffuses que le Covid-19 en ce moment". Côté problématiques, le praticien insiste également sur la nécessité de disposer en nombre de masques, de surblouses et de stéthoscopes (un par patient) mais aussi de respirateurs ("C'est une catastrophe. Nous, on en a trouvés. Si vous vous n'êtes pas armés, vous aurez du mal."), de pousse-seringues, de pompes de nutrition, etc. Mais surtout, il s'agit dès avant le coup de chaud d'accroître ses capacités de réanimation. "Même si c'est de la réanimation dégradée, même si c'est en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) et même si c'est de la surveillance continue, insiste le responsable des urgences du CHU de Lille (Nord), le Pr Patrick Goldstein. Rapprochons ces patients d'un environnement réanimatoire le plus vite possible" car "il ne faut pas attendre avant d'intuber : il n'y a pas le choix, ça va très très vite avec des arrêts cardiaques hypoxiques."

La trachéotomie envisagée pour libérer des lits

Outre le fait de définir des critères restrictifs d'intubation (un patient de plus de 85 ans a en effet 5% de survie à un an, lire notre article), certains réanimateurs dans le Grand-Est mais aussi en Île-de-France réfléchissent à effectuer des "trachéotomies précoces" suivies en aval d'une bascule en unité post-réanimation. Un geste "assez agressif" pour ne pas dire "d'apparence barbare" sur des 50-60 ans, ne cache pas le Dr Éric Thibaut. Les pneumologues y rechigneraient d'ailleurs, glisse le chef des urgences de Colmar. Mais sur des patients qui ne resteront pas à vie trachéotomisés, cela peut faire gagner sept jours de réanimation. Et dans cette logique d'accélérer les flux sortant, de libérer des lits.

Thomas Quéguiner

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