La crise Covid-19 replace la relation humaine et le partage au centre du travail social
Un nouvel espace des possibles
"Ce qui est fascinant c'est le renversement des valeurs. Des initiatives qui apparaissaient il y a encore quelques semaines comme impensables s’imposent aujourd'hui comme une nécessité", explique en ouverture Éric Waroquet, ancien directeur d'établissement et cofondateur d'Epsilon Melia. "À l'annonce du confinement, nous avons été nombreux à penser que nos structures allaient exploser, que les internats qui restaient ouverts, notamment pour les personnes avec des troubles du comportement, allaient devoir affronter la peur, l'angoisse, la décompensation et la violence des usagers, analyse le spécialiste. Au final peut-être parce qu'il y avait moins d'enjeux sur les apprentissages, l'avancée des projets individuels, on a découvert à l'inverse des usagers apaisés. Alors certes, il y a eu des incidents mais on ne peut pas dire que ça ait dégénéré et au contraire nous avons assisté à une formidable capacité des équipes à expérimenter, se renouveler et aujourd'hui on en mesure les bénéfices collectifs."Éric Waroquet ne nie pas que la situation reste éprouvante tant pour les professionnels que les usagers. Nombreux sont ceux qui y laisseront des plumes, notamment dans les équipes qui ont dû affronter un taux important d'absentéisme. "Nous avons tous dû faire face à une injonction paradoxale : aller travailler tout en restant chez nous pour sauver des vies. Et finalement jamais l'intime n'a autant percuté la sphère professionnelle, commente Agnès Jégo, thérapeute familiale. Il faudra être vigilant dans l'après, pour ne pas juger ceux qui n'ont pas pu être présents."
Les verrous administratifs et budgétaires ont sauté
Plusieurs lignes de force émergent des groupes d'analyse de pratiques qu'a animé Epsilon Melia pendant la crise sanitaire. Les équipes ont construit à distance de nouvelles relations avec les familles et se sont, à distance comme en présentiel, senties libérées des contraintes administratives et budgétaires. "Le parent devient le premier observateur de l'enfant et le lien avec le professionnel a changé. De plus, certaines familles ont repris confiance en elles sur leur capacité à accompagner leur enfant différent", analyse Stéphanie Rohrbach, éducatrice spécialisée et formatrice sur l'autisme. "Les professionnels ont pu se libérer des écrits tant dans le cadre des projets individualisés, que des reportings pour les évaluations pour se concentrer sur la relation humaine", ajoute Éric Waroquet.
Proximité entre les cadres et les équipes
"Les cadres ont remis leur bleu de travail et ils en sont ravis, analyse Cédric Lopez qui anime des groupes d'analyse de pratiques qui leur sont dédiés. Beaucoup me disent qu'ils avaient choisi des fonctions de direction pour faire profiter leur équipe de leur expérience et qu'ils avaient l'impression de se noyer dans un travail administratif et qu'entre les contraintes administratives et financières, ils avaient perdu le sens de l'humain. Là ils se disent qu'ils ont découvert ou redécouvert leurs collaborateurs, qu'ensemble ils ont réussi rapidement à prendre les bonnes solutions. Et cela d'autant plus facilement que les robinets financiers étaient ouverts."
Un avis partagé par la base : "Je suis éducatrice depuis vingt ans et je n'ai jamais vu un chef de service aussi présent", commente une internaute. Une autre ajoute : "Le temps du confinement a permis de retrouver du temps éducatif. On a réinvesti un temps précieux qui demeure le cœur de notre travail et dont on avait perdu le sens." Pour tous ces professionnels, il y aura un avant et un après-Covid-19. La crise les a contraints de revenir aux fondamentaux de la prise en charge éducative, et visiblement ils y trouvent leur compte. Mais réussiront-ils à garder cette agilité dans un contexte plus normé ?