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Lamine Gharbi, président de la FHP

"Cette absence de masques, c'est totalement insupportable et anxiogène pour nos salariés"

Sur le pied de guerre elles aussi depuis le passage en stade 3 face au coronavirus, les cliniques privées sont prêtes à mobiliser 4 000 respirateurs pour aider les hôpitaux publics, explique à Hospimedia le président de la FHP, Lamine Gharbi. Reste une priorité : fournir en urgence des masques à tous les personnels. C'est un véritable cri d'alerte.

Hospimedia : "Comment s'organise l'hospitalisation privée dans la crise sanitaire actuelle ?

Lamine Gharbi : Cette semaine, nous avons à déprogrammer 100 000 patients. Toute la chirurgie programmée a été annulée. Nous avons laissé entre 20 000 et 25 000 malades urgents non reprogrammables, c'est-à-dire ce qui a trait à la cancérologie, aux saignements, aux douleurs, etc. C'est l'exemple de l'appendicite chez le jeune. Et nous ferons pareil la semaine prochaine. Ça nous permet en retour de mobiliser nos personnels à l'organisation de l'accueil à venir des malades positifs au Covid-19. Nous avons libéré des étages complets de chambres pour les recevoir lorsqu'ils se présenteront à nos portes. Si ce n'est en région Grand-Est, ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. Si bien qu'actuellement, nous avons dans l'ensemble une activité d'urgences qui est à 50% inférieure à la moyenne. Cette baisse facilite ce préparatif des plans blancs. À titre d'illustration, c'est l'installation de tentes en extérieur pour accueillir, trier, filtrer ceux qui auront de la température, lesquels passeront ensuite dans un sas et seront acheminés dans des locaux dédiés. Et ceci tout en préservant les urgences classiques, qui elles sont de moins en moins nombreuses car dans la mesure où il n'y a plus de vie sociale, la traumatologie sportive et les autres soins après promenade ou voiture se sont réduits de 95% et n'existent pratiquement plus.
L'objectif est de mobiliser 4 000 respirateurs pour aider les hôpitaux publics. Il y a une complémentarité totale et un partage d'information pour prendre au plus vite et au plus juste les malades.

H. : On parle beaucoup du risque capacitaire en lits de soins critiques et de réanimation...

L. G. : Nous sommes en train de recenser établissement par établissement, avec les ARS, nos lits de soins intensifs que nous pourrons mobiliser et "upgrader" avec des respirateurs, afin d'accueillir le maximum de patients nécessitant des soins de ventilation. Nous devons être en capacité de dire demain que nous avons 12, 10, 8 places de réanimation en mode dégradé. L'essentiel étant de pouvoir a minima recevoir dans un premier temps les malades puis de les conditionner pour les orienter vers un centre de référence. Mais on sait qu'un patient doit rester intubé 10, 12 voire 14 jours. Il faut donc augmenter le nombre de respirateurs. Nous sommes en train de nous structurer là-dessus. L'objectif est de mobiliser 4 000 respirateurs pour aider les hôpitaux publics. Sur Colmar et Mulhouse (Haut-Rhin), nous n'avons pas pu prêter main forte car il n'y a pas de privé. C'est donc Strasbourg (Bas-Rhin) qui est venu en appui (lire notre article). Sur Paris, il y a un nombre important de cliniques déjà mobilisées avec la mise à disposition de l'ensemble des lits aux patients qui s'y rendent spontanément ou sont mutés par des hôpitaux en saturation. Il y a une complémentarité totale et un partage d'information pour prendre au plus vite et au plus juste les malades.

H. Comment s'opère la bascule de soins critiques à réanimation ?

L. G. : D'abord, il faut des respirateurs mais pas des appareils de bloc opératoire. Ils doivent être en circuit fermé. Quand vous faites une respiration artificielle au bloc, l'air du patient qui n'est pas traité en circuit fermé ressort dans la salle. Dans le cas du Covid-19, ce serait un non-sens complet. Mais ces respirateurs en circuit fermé sont en nombre insuffisant. Et ce n'est pas parce que vous avez 20 blocs avec 20 respirateurs que les 20 seront en circuit fermé. Soit il y a des modules à compléter, soit c'est impossible. Dans chaque établissement, il faut donc quelques respirateurs et des anesthésistes pour les faire fonctionner. Il y a a aussi une protection bien plus importante des salariés. Nous avons condamné et isolé dès l'entrée des unités entières. C'est par exemple une unité de chirurgie ambulatoire débaptisée Covid. Il n'y a plus aucun patient dedans. S'agissant des compétences soignantes, nos infirmiers anesthésistes (Iade) ne travaillent jamais seuls mais systématiquement avec des anesthésistes, qui ont une compétence, certes pas tous, en réanimation. Certains sont anesthésistes-réanimateurs, d'autres uniquement réanimateurs et d'autres encore uniquement anesthésistes. Mais tout anesthésiste est capable, dans une situation de crise, d'être opérationnel pour épauler une unité de réanimation. Au final, notre crainte pour les paramédicaux, c'est de ne pas réussir en pleine vague à anticiper les départs et arrêts maladie. Les soignants seront aussi touchés par le virus. Heureusement, il y a une entraide qui est forte entre nos salariés. Nous n'avons pas ça à gérer sur le terrain.
On envoie nos personnels au front sans arme. Par conséquent, nous demandons de manière extrêmement forte et urgente que l'ensemble des stocks de masques d'État soient débloqués.

H. : Votre inquiétude est grande sur les masques de protection...

L. G. : Oui, c'est vraiment "la" priorité. Cette absence de masques pour tous, c'est totalement insupportable et anxiogène pour nos salariés, qui voient l'ensemble de la population disparaître en confinement et eux rester en première ligne face aux malades. On les envoie au front sans arme (lire l'encadré). C'est un problème majeur. Nos personnels nous expliquent qu'ils veulent bien continuer à soigner et travailler 24h/24. En revanche, aller contracter du Covid-19 et rentrer ensuite à la maison pour infecter leur famille, c'est plus que moyen. Par conséquent, nous demandons de manière extrêmement forte et urgente que l'ensemble des stocks d'État soient débloqués. Les usines ont été réquisitionnées. Nos fabricants réguliers ne nous livrent plus. Nous ne pouvons plus commander directement auprès d'eux depuis huit jours, si ce n'est sur des marchés parallèles qui commencent à émerger. Et malgré les dernières annonces de livraison, il n'y aura toujours pas de masques pour tout le monde. En SSR, il n'y a pas de masque. En Ehpad, il n'y a pas de masque. Et en clinique, nous avons un stock uniquement pour les personnels en contact avec les malades. Or impossible de savoir s'ils sont infectés ou pas car nous n'avons pas accès aux tests. Difficile dans ces conditions d'évaluer le nombre de cas positifs.

60 lits de réanimation longtemps inutilisables dans l'Est faute de masques

Alors que le Service de santé des armées (SSA) a commencé à transférer ce 18 mars des patients de réanimation du Haut-Rhin vers d'autres hôpitaux hexagonaux plus éloignés et moins saturés, les cliniques privées de la région pouvaient théoriquement les accueillir. Entre Strasbourg (Bas-Rhin), Nancy (Meurthe-et-Moselle), Metz (Moselle) et Reims (Marne), elles cumulent en effet quelque 60 lits de réanimation mais n'ont pas été sollicitées. Là où le bât blesse en effet, c'est que le manque de masques sur ces sites empêchait de les utiliser. Un retard à la livraison en moyens de protection corrigé ce jour, a indiqué à Hospimedia Lamine Gharbi, rendant enfin opérationnels ces lits.

H. : Vu leur niveau de compétence et d'équipements, les cliniques ont-elle été suffisamment associées au processus de réponse sanitaire ?

L. G. : Nous sommes un peu écartés, je trouve. Mais ça vient de l'organisation qui a été choisie depuis un mois et demi par les autorités sanitaires. Elles ont placé les CHU en premier rideau, puis quelques hôpitaux de plus en renfort et enfin le stade 3 pour tout le monde. Nous sommes en stade 3 depuis vendredi. Ça nous était donc difficile, à la FHP au national et en local pour les établissements, de nous manifester dans la mesure où nous ne pouvions pas réglementairement prendre les patients Covid-19. Nous étions un peu sur le bord du chemin à attendre que le stade 3 arrive. Professionnellement parlant, j'ai plein d'amis qui me disaient : "Mais t'es où ? On ne t'entend pas, tu ne parles pas, on a l'impression que tu t'en fous..." Bien sûr que non. Je leur répondais que "nous sommes écartés de facto car le stade 3, ce sera pour nous mais pas avant". C'est le cas aujourd'hui et nous sommes là. Je pense donc qu'on va se rendre compte de toute l'utilité de la présence du privé. Sans doute un peu tard, malheureusement."

Propos recueillis par Thomas Quéguiner

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