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Romain Hellmann et Guillaume Wasmer, copilotes de la cellule de gestion des lits à l'ARS Île-de-France

"La cellule de gestion des lits a permis de prendre la vague et la prendre tous ensemble"

"En revenant à l'ancienne avec le coup de téléphone, nous avons pu nous adapter très vite. Pas sûr que les outils informatiques le permettent. Le lien humain, il n'y a rien de tel." Face au Covid-19, la cellule de gestion des lits de l'ARS Île-de-France affiche un bilan exemplaire. Récit de ses deux copilotes, Romain Hellmann et Guillaume Wasmer.
Des appels 3 fois par jour en journée auprès de chacun des 250 établissements de santé franciliens, puis un appel complémentaire entre 22-23 heures des 40 ayant le plus de lits de réanimation. Ce "phoning" des bed manageurs a permis de nouer du lien.
Des appels 3 fois par jour en journée auprès de chacun des 250 établissements de santé franciliens, puis un appel complémentaire entre 22-23 heures des 40 ayant le plus de lits de réanimation. Ce "phoning" des bed manageurs a permis de nouer du lien.

Hospimedia : "D'où vient l'idée mi-mars de créer cette cellule de gestion des lits à l'échelon de l'Île-de-France ?

Guillaume Wasmer (à droite sur la photo) : Le vendredi 20 mars, j'étais chez Nehs, où j'opère désormais comme directeur général adjoint développement et marketing (1), quand l'ARS m'a demandé si je pouvais l'aider à assurer la coordination d'une cellule régionale de gestion des lits en binôme avec Romain Hellmann. Nous étions alors dans une situation où nous prévoyions un afflux massif en soins critiques. Il fallait des moyens humains, d'autant plus à l'échelle d'une région de 12 millions d'habitants. Cela ne s'était encore jamais fait. Entre le moment où la demande m'a été formulée et celle où Nehs m'a dit "oui", il s'est écoulé à peu près un quart d'heure. Dès le vendredi soir, nous étions à pied d'œuvre à l'ARS et commencions à discuter avec l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), qui elle-même commençait à s'organiser avec des cellules de régulation et de transferts de patients critiques et non critiques.
Pendant tout le week-end, nous avons cherché des volontaires. En Île-de-France, nous avons la chance d'avoir un certain nombre d'agences avec des gens qui connaissent la santé, que ce soient à la Haute Autorité de santé (HAS), à l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), dans les fédérations, les syndicats, etc. Nous leur avons demandé : "Acceptez-vous de nous rejoindre pour appeler les établissements et gérer au plus près l'état de disponibilité des lits sur l'ensemble de la région tous statuts confondus, public, privé lucratif ou non ?" Dès le lundi matin, nous pouvions compter sur dix-sept personnes et passer les premiers appels, département par département, GHT par GHT (2), hôpital par hôpital, groupe privé par groupe privé.
On voyait très bien que nous avions des problèmes de coordination. Il nous fallait reprendre la main, centraliser un dispositif au niveau régional et recenser tous les lits, pas uniquement des soins critiques.
Romain Hellmann
Romain Hellmann : Cette semaine-là, nous étions en pleine phase de croissance en soins critiques et hospitalisation conventionnelle, avec 250 à 300 nouveaux cas par jour en réanimation et deux à trois fois plus en médecine. La tension sur les lits devenait critique. Avec les outils que nous avions, qui fonctionnaient très bien comme le répertoire opérationnel des ressources (Ror, lire notre article) sur les soins critiques où les réanimateurs déclarent directement sur smartphone leurs lits, on voyait très bien que nous avions des problèmes de coordination entre les départements, les hôpitaux.
Il nous fallait reprendre la main, centraliser un dispositif au niveau régional et recenser tous les lits, pas uniquement des soins critiques pour tenir compte des réorganisations qui secouaient les hôpitaux. Le fonctionnement habituel d'un établissement avec des lits de chirurgie, de médecine, de cardiologie, d'infectiologie, tout cela a volé en éclat puisque nous sommes passés du jour au lendemain sur des organisations en secteurs Covid-19 d'un côté, non Covid-19 de l'autre. Les outils informatiques n'étaient pas adaptés à ce changement rapide d'organisation. Notre système de recensement des lits, en revenant à l'ancienne avec le coup de téléphone, a été un des éléments essentiels qui a permis de s'adapter aussi rapidement à ce qui nous arrivait.

H. : Concrètement, comment a été élaborée cette cellule et quel a été son fonctionnement ?

R. H. : Nous avions les retours du Grand-Est où, globalement, il y a eu un afflux massif de patients dans les hôpitaux publics. Au début, le privé n'a pas été mis dans la boucle. Pas volontairement mais il n'était pas visible. Vous savez, quand une vague vous arrive dessus, on ne sait pas forcément ce qui se passe à côté : on se concentre sur ce que l'on sait faire. Au vu de ces remontées, il nous fallait un moyen de coordination des différents acteurs pour essayer de prendre la vague mais la prendre tous ensemble.
Ça n'aurait pas été possible sans la cellule de gestion des lits. C'est un dispositif à deux étages : d'une part une recherche de tous les lits disponibles et d'autre part une régulation car quand vous avez un lit encore faut-il que l'établissement accepte de l'occuper. Sur le terrain dans les hôpitaux, disposer d'une vision exhaustive de ce qui se passe prend énormément de temps. Nous voulions donc les soulager le plus possible de toute cette lourdeur administrative pour qu'ils se concentrent sur la seule prise en charge des malades.
Grâce à tous ces appels, nous avons noué un lien un peu particulier avec les établissements, qui faisaient remonter très vite à l'ARS toute information sensible.
Guillaume Wasmer
G. W. : La cellule était mixte ARS/AP-HP. Nous passions des appels trois fois par jour en journée auprès de chacun des 250 établissements de santé franciliens. Suivait le soir un appel complémentaire entre 22 heures et 23 heures pour quarante d'entre eux suivis tout particulièrement, un peu comme le lait sur le feu, car ils ont les capacités en soins critiques les plus élevées. Rapidement, nous sommes allés au-delà de cette mission qui consistait à donner le maximum de visibilité sur la disponibilité des lits.
Comme nous étions en contact trois à quatre fois par jour avec les établissements, nous avons pu mener des enquêtes complémentaires : "Est-ce que vous êtes capables d'ouvrir de nouveaux lits de soins critiques ?" ; "Si oui, à quelles conditions en matière d'effectifs, de quantité de pousse-seringues, de ventilateurs, etc. ?" ; "Quel est le taux d'occupation de vos morgues ?" ; "Avez-vous des surplus de tel ou tel matériel que vous pourriez donner à un autre établissement qui en manquerait ?"... Grâce à tous ces appels, nous avons noué un lien un peu particulier avec les établissements, qui faisaient remonter très vite à l'ARS toute information sensible.

R. H. : Quand tout début avril, nous avons dû créer 1 000 lits de réanimation en cinq jours, la cellule a servi à ça. Nous avons pu voir les montées en capacité qui n'étaient pas connues. Sans notre outil d'appels, nous n'aurions jamais pu savoir comment tel établissement avait pu mettre en place son nombre de lits et où ils étaient. Ça a été essentiel pour disposer de retours rapides du terrain. Je ne suis pas sûr que les outils informatiques permettent ce genre de chose, même les plus puissants au monde. Le lien humain, il n'y a rien de tel.

H. : Après coup, comment jugez-vous les remontées fournies par les établissements ?

G. W. : Les hôpitaux se sont organisés. Chaque fois que nous recevions des données, nous les collections puis les retraitions et enfin les renvoyions à tout le monde. Et ceci, quatre fois par jour. Tous les établissements avaient une vue totale sur la disponibilité des lits. Quand vous voyez votre hôpital qui, systématiquement, fait apparaître des lits qui n'existent pas, ceux qui ne se sont pas encore mis en ordre de bataille le font alors très vite, par parangonnage. D'ailleurs sur la fiabilité des données, nous avons réalisé une enquête de satisfaction pour mesurer le degré de perception des établissements : entre 70 et 80% des gens les jugent fiables ou très fiables.
Il y a eu une mobilisation collective tous secteurs confondus remarquable pour passer ce "gap" monstrueux. Je vous rappelle que nous étions à 1 200 lits de réanimation début mars et sommes montés à 3 000.
Romain Hellmann.

H. : À un moment, avez-vous craint que la courbe des hospitalisations ne cesse de grimper ?

R. H. : Oui, que ça ne n'arrêtera jamais. Mais nous avons toujours réussi à conserver une petite marge. De mémoire, nous avons été au plus bas avec près de 40 lits disponibles, voire 29 même un jour mais c'était avant l'objectif de doubler voire tripler notre nombre de lits en réanimation. Et là, d'un seul coup, ça s'est libéré. Pareil, la cellule n'a pas géré les transferts de patients interrégions mais nos données de disponibilité en lits ont été un des éléments importants dans ces choix.
Cela a permis de voir à quatre ou cinq jours combien il était nécessaire de libérer de lits pour pouvoir continuer à accueillir suffisamment de malades et ne pas se laisser déborder. Il y a quand même eu une énergie, une mobilisation collective tous secteurs confondus remarquable. C'est même une première. Cet outil de visibilité transparent et par phoning des lits de tout le monde a entraîné un élan commun pour être en capacité de passer ce gap monstrueux. Je vous rappelle que nous étions à 1 200 lits de réanimation début mars et sommes montés à 3 000 avec des mortalités qui sont restées très basses par rapport à d'autres pays.

H. : Depuis quelques jours, la situation épidémique est celle d'un haut plateau qui redescend très doucement, avec en Île-de-France 2 261 patients en réanimation au 19 avril. Votre cellule continue-t-elle de fonctionner ?

R. H. : Très clairement, les capacités de reprendre une activité hospitalière normale ne sont pas encore là. Nous restons extrêmement prudents. Le dispositif n'a donc pas été démonté, à part les cellules d'appui aux transferts qui ont été mises en veille. La recherche de lits reste encore d'actualité. Nous en avons encore besoin. Et surtout, cela va nous aider à comprendre comment se retransforme dans l'autre sens l'offre de soins avec des enquêtes ponctuelles sur le désarmement des services pour que cela s'opère de façon harmonieuse. Le seul moyen d'y parvenir, c'est cette cellule de gestion des lits.
La reprise des activités et avec elle la répartition des patients Covid-19 ou non suppose de se concerter pour s'organiser en commun et appliquer les mêmes organisations internes. C'est lourd et pas facile. Le débat est également sur le redémarrage des semi-urgences, par exemple la chirurgie carcinologique. L'heure est surtout à désarmer les lits de soins critiques montés dans des endroits qui n'y étaient pas habitués, par exemple les salles de surveillance postinterventionnelles. La priorité est de remettre les patients dans de vrais lits de réanimation. Enfin, l'enjeu est de vider le MCO vers le SSR. Ce qui demande une certaine fluidité car 20% des patients qui sortent de réanimation nécessiteront des soins de suite. À nous là aussi de mener ce travail de recensement."

Propos recueillis par Thomas Quéguiner

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