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Reportages


[Reportage] L'inclusion en Europe - épisode 2

L'Allemagne a un système varié d'inclusion professionnelle des personnes handicapées

Alors que la France est appelée à intensifier sa démarche de désinstitutionnalisation, Hospimedia a décidé de se rendre dans différents pays pour analyser les politiques sociales à l'échelle européenne. Première étape : l'Allemagne. Direction Trèves.
Anna Gabler apprécie les tâches qu'elle peut effectuer posément, sans trop de contacts avec la clientèle. (Edoxie Allier/Hospimedia)
Anna Gabler apprécie les tâches qu'elle peut effectuer posément, sans trop de contacts avec la clientèle. (Edoxie Allier/Hospimedia)

La question de la désinstitutionnalisation se posant à tous les pays européens, l'Allemagne dispose de nombreux outils pour l'insertion en milieu ordinaire de travailleurs d'ateliers du secteur protégé. Direction la Rhénanie-Palatinat dans une entreprise inclusive.

"Toutes les personnes doivent avoir toutes les possibilités", estime Ulrike Baumann, cheffe de projet au Bürgerservice de Trèves (Rhénanie-Palatinat). Relativement proche du système de soutien à l'inclusion professionnelle français, le réseau allemand des organismes impliqués pour l'insertion des personnes en situation de handicap par le travail offre bel et bien de très nombreuses possibilités. Il existe des ateliers pour personnes handicapées (Werkstatt für behinderten Menschen), équivalent germanique des établissements et services d'accompagnement par le travail. Ils suivent environ 315 000 personnes dans près de 720 ateliers, selon l'Office fédéral de l'intégration, soit environ 19% de la population en situation de handicap en âge de travailler. À l'instar de la France, cette modalité d'accompagnement subit de fortes pressions. Ainsi, en octobre 2023, le comité des droits des personnes en situation de handicap (Committee for the Rights of People with disability, CRPD) invitait l'Allemagne à élaborer un plan d'action pour permettre la transition du secteur protégé au marché du travail général.

Auparavant, Jenny Ernst travaillait dans un atelier pour personnes handicapées, mais "je ne m'entendais pas bien avec les professionnels", explique-t-elle. (Edoxie Allier/Hospimedia)
Auparavant, Jenny Ernst travaillait dans un atelier pour personnes handicapées, mais "je ne m'entendais pas bien avec les professionnels", explique-t-elle. (Edoxie Allier/Hospimedia)

Entreprises inclusives

La république fédérale dispose pourtant de nombreux dispositifs variés. "Les entreprises inclusives ont été créées pour qu'il y ait un intermédiaire entre le premier marché du travail et les ateliers", raconte Monika Berger, responsable du service marché du travail au Bürgerservice à Trèves. Créée en 1987, cette structure est une organisation dont l'objet est l'emploi des personnes en situation de handicap. Entreprise inclusive, elle est située en banlieue de la ville frontalière, dans un quartier industriel. Son nom de "service des citoyens" peut prêter à confusion, d'ailleurs de nombreux concitoyens se rapprochent de cette structure pour réaliser des opérations de vie quotidienne comme le renouvellement de passeports ou de cartes d'identité. Pourtant de prime abord, le Bürgerservice ressemble bel et bien à un acteur économique, entre son atelier de recyclage de liège et son lieu de réparation des vélos.

Peu ou prou équivalentes aux entreprises adaptées, les entreprises inclusives accueillent entre 30 et 50% de travailleurs handicapées (soit 0,84% des personnes en situation de handicap en âge de travailler). Pour être intégrées à ces effectifs, les personnes doivent être en situation de handicap mais aussi faire face à d'autres difficultés (chômage de longue durée, manque de qualifications…). Le Bürgerservice propose un ensemble de services afin d'offrir une diversité de métiers aux personnes : démolition, espaces verts, nettoyage, peinture et bien sûr réparation de vélo ou recyclage de liège.

"Je suis un peu une cheffe ici, j'aime montrer à mes collègues comment travailler", raconte Jenny Ernst. (Edoxie Allier/Hospimedia)
"Je suis un peu une cheffe ici, j'aime montrer à mes collègues comment travailler", raconte Jenny Ernst. (Edoxie Allier/Hospimedia)

Espace industriel, le site de recyclage du liège ressemble à un atelier classique. De gros sacs remplis de bouchons jonchent le sol. Sur les murs sont affichés des réalisations de la structure, comme une carte de l'Allemagne en liège. Ici, les ouvriers trient les bouchons en fonction de leur qualité (liège naturel ou artificiel) et de leur couleur. Ces bouchons seront soit utilisés tels quels, soit réduits en poudre, plus ou moins fine en fonction de son utilisation. C'est au sein de cet espace qu'évolue Jenny Ernst. Elle travaillait auparavant dans un atelier pour personnes handicapées et semble satisfaite de ses conditions de travail au sein du Bürgerservice : "Ici, je n'ai pas de pression, pas de stress mais j'ai plus de liberté dans mon travail." Stefan Clinthammer, quant à lui, estime que, par rapport à l'atelier, "le travail n'était pas très différent mais ici, je sens que l'entreprise me fait plus confiance". Il bénéficie d'un dispositif particulier appelé "budget pour le travail" (Budget für Arbeit). Celui-ci permet à l'entreprise, qu'elle soit inclusive ou non, de bénéficier d'un financement qui couvre jusqu'à 75% du salaire de la personne en situation de handicap. Elle est réservée à des individus détenant un statut ouvrant droit à l'accompagnement des ateliers spécialisés (Werkstatt-status). Ce dernier autorise le retour de la personne en cas de besoin.

Disparités régionales

République fédérale, l'Allemagne est marquée par de fortes différences entre les régions, les Länder. André Hocker, responsable du service postes de travail extérieur de l'atelier pour personnes handicapées de Madgeburg (Saxe-Anhalt) de la fondation Pfeiffersche, explique que "d'une région à l'autre, les subventions sont très différentes et les exigences posées également." Mathias Huberty-Melchisedech, travailleur social au Bürgerservice, témoigne : "Je suis deux cas, l'un dans la Hesse, l'autre en Rhénanie-Palatinat. Les deux souhaitent demander un budget pour le travail. Pour le premier, cela fait un an et demi que nous attendons un retour, pour le deuxième, j'ai eu un retour en quatre à six semaines."

Le budget pour le travail se veut un partenariat "donnant-donnant". Comme l'explique Jacqueline Schneider, directrice de l'association Caritas de Trèves, "l'entreprise a bien sûr l'espoir de gagner un nouveau collaborateur compétent, mais il faut être réaliste, il s'agit aussi d'un calcul économique". Cette modalité d'accompagnement fait l'objet d'un contrôle tous les deux ans environ, afin de s'assurer de la persistance du besoin d'appui. "L'argent est toujours la pierre d'achoppement, estime Mathias Huberty-Melchisedech, travailleur social au Bürgerservice. Lorsqu'il est question d'économiser quelque part, ce genre de projet peut toujours être remis en question." En entreprise, il est également possible de requérir l'appui des services spécialisés d'intégration (Integrationsfachdienste). Ces derniers peuvent être mobilisés pour le maintien en emploi, l'insertion de personnes lourdement handicapées ou encore la transition vers le milieu ordinaire des travailleurs d'ateliers.

Après un parcours de vie compliqué, Stephan semble s'épanouir au sein du Bürgerservice. Il est en charge de la manutention d'une machine complexe qui permet d'obtenir de la fine poudre de liège. (Edoxie Allier/Hospimedia)
Après un parcours de vie compliqué, Stephan semble s'épanouir au sein du Bürgerservice. Il est en charge de la manutention d'une machine complexe qui permet d'obtenir de la fine poudre de liège. (Edoxie Allier/Hospimedia)

Formation dans l'emploi

Le Bürgerservice mène également des actions ayant l'intégration en milieu ordinaire de jeunes issus d'institutions spécialisées (Förderschule). "Souvent à la sortie d'école, les personnes n'ont pas un haut niveau de qualification, expose Annika Goldhausen, chargée de projet au Bürgerservice et membre du service spécialisé d'intégration de Trèves. C'est pourquoi nous essayons plutôt de trouver des emplois dans lesquels ils peuvent apprendre." L'idée est vraiment de miser sur l'apprentissage en situation de travail. Deux systèmes co-existent : les autres prestataires de services (andere Leistungsanbieter) et l'emploi accompagné (unterstütze Beschäftigung). Bien qu'homonyme d'un dispositif français, les modalités de déploiement de ce dernier sont en réalité assez différentes du schéma hexagonal. Les personnes sont formées en entreprises et soutenues jusqu'à la conclusion d'un contrat de travail.

A l'hôtel Berghof de Biersdorg-am-See, Anna Gabler est accompagnée au sein d'une petite équipe. "Nous sommes comme une famille ici", se félicite le gérant de l'hôtel Markus Michel. (Edoxie Allier/Hospimedia)
A l'hôtel Berghof de Biersdorg-am-See, Anna Gabler est accompagnée au sein d'une petite équipe. "Nous sommes comme une famille ici", se félicite le gérant de l'hôtel Markus Michel. (Edoxie Allier/Hospimedia)

Les autres prestataires de services peuvent proposer différents types de soutien. Il peut s'agir d'organismes qui proposent un soutien du même type que celui proposé en ateliers pour personnes handicapées, mais dans une structure du milieu ordinaire. Une autre possibilité, mobilisée au Bürgerservice, est un accompagnement vers l'emploi de jeunes en situation de handicap. D'une durée de deux à trois ans, ce dispositif est similaire à l'emploi accompagné allemand à savoir qu'il s'agit d'une manière de former les personnes directement en situation de travail. Les deux modalités d'accompagnement peuvent aussi proposer à des adultes en transition depuis le milieu protégé ou en difficulté sur leur poste de travail. La différence entre les deux systèmes réside dans le fait que dans le cadre des autres prestataires de services, les personnes sont titulaires d'un statut atelier pour personnes handicapées.

C'est par exemple le cas d'Anna Gabler, travailleuse dans un hôtel à Bittburg. Accroché sur les pentes de la montagne qui se jette directement dans un lac, cet établissement de tourisme est un lieu calme, surtout en ce jour de fermeture hebdomadaire. Son ambiance tranche avec celle constatée au sein du Bürgerservice. Anna Gabler préfère cet environnement de travail aux alternatives qui lui étaient proposées. Elle raconte qu'elle a fait "un stage en atelier pour personnes handicapées mais cela ne [l']intéressait pas". Durant tout le temps du suivi de la personne, cette dernière peut effectuer tous les stages qu'elle souhaite dans différentes structures, explique Gerd Allgayer, chargé d'insertion au sein du Bürgerservice et membre du service spécialisé d'intégration de Trèves.

Diversité des financeurs

Outre une grande disparité régionale, le système allemand d'inclusion se caractérise également par une myriade de financeurs possibles. La majorité des mesures de formation présentées dans l'article sont financées par l'Agence pour le travail. En revanche, la mesure du budget pour le travail dépend de l'Office d'intégration, qui récolte les contributions des entreprises de plus de cinquante salariés ne répondant pas à leur obligation d'emploi de 5% de personnes en situation de handicap. En fonction des situations, des mesures peuvent aussi être prises en charge par l'assurance retraite ou l'assurance accidents.

Malgré l'ensemble de ces dispositifs, l'Allemagne subit comme la France des pressions en faveur de plus de désinstitutionnalisation, ses efforts étant jugés insuffisants. Pour André Hocker, "nous avons beaucoup de travailleurs qui ne sont pas en mesure de travailler sur le premier marché de travail sans prise en charge". Il souligne que de nombreux établissements proposent, à leur instar, des ateliers implantés au sein d'entreprises du milieu ordinaire (Außenarbeitsplätze). Jacqueline Schneider abonde en ce sens : "Notre système de transition fonctionne pour certaines personnes mais peut-être pas pour toutes ; la culture n'est pas encore très ouverte aux personnes en situation de handicap." De son côté, Ulrike Baumann insiste sur l'importance des institutions : "Je pense qu'il est positif que les ateliers aient à s'interroger sur la qualité de leur accompagnement mais il y aura toujours des gens pour lesquels, cela restera la meilleure solution."

Edoxie Allier, à Trèves (Allemagne)

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