Politique de santé
Ehpad, Saad et hôpital réinventent la collaboration pour ne pas que le système "explose"
À cheval sur trois départements, hôpital, Ehpad et services d'aide à domicile du territoire de santé de Nord-Franche-Comté ont instauré dans l'urgence de nouveaux modes d'organisation. De la gestion des flux de patients âgés au portage politique des besoins de terrain... Enseignements d'un territoire atypique.Mi-mars, alors que le nombre de patients affluait dangereusement et que la bataille des masques faisait rage, les acteurs du pôle métropolitain Nord-Franche-Comté ont joué la carte de la cohésion. En se constituant en collectifs en plein cœur de la crise épidémique, Ehpad et structures d'aide et d'accompagnement à domicile du Territoire de Belfort, de la Haute-Saône et du Doubs ont permis la construction d'un dialogue nouveau sur un secteur particulièrement fragmenté. Ou comment la crise du Covid-19 a fait voler en éclats les logiques territoriales, statutaires et sectorielles.
"Nous avons pu avoir un rapport de force qui nous a permis de devenir des interlocuteurs audibles", analyse-t-il avec satisfaction. Le 17 mars, le préfet du Territoire de Belfort a ainsi débloqué une première dotation de 6 000 masques pour le secteur. "Aujourd'hui, le rapport est complètement disproportionné par rapport aux besoins et aux dotations mais, à l'époque, alors qu'il y avait zéro masque, c'était complètement miraculeux !"
"Si le CH explose, on ne tiendra pas non plus", note Lucile Grillon, directrice du pôle personnes âgées pour la Fondation Arc-en-Ciel et animatrice du collectif. C'est devant cette conscience de leur interdépendance que les acteurs du sanitaire et du médico-social ont élaboré une stratégie commune. Objectif : assurer la disponibilité de lits à l'hôpital en fluidifiant les sorties d'hospitalisation vers l'Ehpad et le domicile. "À l'échelle du Territoire de Belfort, nous avons constitué deux équipes dotées de matériel "rare", formées et renforcées avec la coordination d'une infirmière pour assurer les sorties d'hospitalisation", détaille Philippe Weber. "En trois jours, nous avons bouclé un fil d'entrée d'urgence en Ehpad permettant d'accueillir temporairement les personnes âgées en sortie d'hospitalisation", poursuit Lucile Grillon. De quoi "aider le CH à nous aider", souffle-t-elle.
Chaque semaine, la responsable récupère les données de l'ensemble des Ehpad afin de transmettre à l'ARS et à l'hôpital les capacités d'accueil. "Chaque Ehpad du collectif a conservé sa propre politique d'admission et sa propre liberté mais nous agissons de manière coordonnée", poursuit-elle. Afin de ne pas créer de freins administratifs au déploiement de la solution, l'ARS et les conseils départementaux du Doubs et du Territoire de Belfort ont accepté de calquer le financement du dispositif sur le modèle Paerpa (soit 20 euros (€) par jour à la charge du résident et les 50 € restants financés par l'ARS).
Grâce au soutien de l'hôpital et des équipes du Centre d'appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cepias), les structures médico-sociales ont ainsi pu être outillées de "trousses Covid" pour la gestion des cas et les situations de fin de vie. Et pour cause, les résidents d'Ehpad ont pour beaucoup dû être soignés au sein même des Ehpad. "Alors que les premiers cas sortaient, on nous disait que 100% des résidents seraient pris en charge à l'hôpital mais, rapidement, nous avons compris que ce serait à nous de les accompagner jusqu'au bout car l'hôpital n'aurait pas assez de place", se remémore Lucile Grillon. Avec un total de 1 167 lits SSR compris et seulement 20 lits de réanimation — en plus desquels ont été ouverts 250 lits Covid et 40 lits de réanimation au plus fort de la crise — pour mille places d'Ehpad sur le territoire, la capacité hospitalière aurait de fait vite été saturée.
"Une porosité apparaît entre deux mondes séparés par un mur", admet Philippe Weber avec satisfaction. Pour autant, poursuit-il, "on pourrait penser qu'on était unis à la vie à la mort, ça n'est pas le cas, soupire-il en évoquant les relations inter-Saad. Ça n'a pas duré du tout." Si "l'auto-organisation" du secteur en début de crise leur a permis d'obtenir des dotations avant l'heure, "quand les choses se sont normalisées, nous sommes vite retombés sur les difficultés structurelles liées à la géographie du territoire de santé". Un "étiolement" plus ou moins marqué selon les départements. "Chacun a beaucoup de travail, nous avons pu attirer l'intérêt des conseils départementaux et des ARS mais, sur le volet organisationnel, le collectif n'a pas vraiment fonctionné. Cela a permis des dialogues qui n'existaient pas avec les Ehpad et l'hôpital, mais la vision idyllique d'une circulation fluide hôpital-Ehpad-domicile n'est pas devenue réalité." Et d'espérer un jour pouvoir réactiver une réelle coordination, au service du parcours de la personne âgée.
Domicile : une union sacrée pour trouver des masques
"Les quinze premiers jours ont été particulièrement sportifs, se rappelle Philippe Weber, directeur général de l'association Domicile 90. Tout le monde était un peu à la rue en termes d'organisation et en termes de matériel." Masques, gants, gel hydroalcoolique... Qu'ils soient associatifs, du public territorial ou du secteur commercial, l'ensemble des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad) s'est heurté au manque matériel de protection. "Les structures n'avaient rien", rappelle Philippe Weber. À l'initiative de ce dernier, et malgré un secteur d'activité "très balkanisé", les structures du domicile ont vite collaboré. "Je n'ai eu aucun mal à les convaincre. Nous avons senti que nous aurions sans doute la nécessité, malgré nos intérêts parfois divergents et nos situations de concurrence, de pourvoir parler d'une même voix auprès des décideurs publics."Nous avons pu avoir un rapport de force qui nous a permis de devenir des interlocuteurs audibles.Le 12 mars, une quinzaine d'acteurs se sont alors réunis pour construire ce qui adviendra par la suite un collectif de plus de vingt-cinq structures — soit l'ensemble du tissu économique des Saad relevant du secteur couvert par le centre hospitalier Nord-Franche-Comté. "À l'époque, nous pouvions encore nous réunir physiquement", observe le directeur général. Si jusqu'alors nombre des acteurs ne se connaissaient pas, ce premier rendez-vous a donné naissance à une démarche de lobbying forte. ARS, conseils départementaux, groupes parlementaires, élus locaux ont ainsi été sensibilisés sur le besoin de fournir des équipements de protection essentiels à la poursuite de l'activité auprès des plus fragiles. Un pari "incroyable sur un secteur concurrentiellement aussi volatile", s'émerveille le directeur. Mais un pari payant.
Philippe Weber, initiateur du collectif des Saad
"Nous avons pu avoir un rapport de force qui nous a permis de devenir des interlocuteurs audibles", analyse-t-il avec satisfaction. Le 17 mars, le préfet du Territoire de Belfort a ainsi débloqué une première dotation de 6 000 masques pour le secteur. "Aujourd'hui, le rapport est complètement disproportionné par rapport aux besoins et aux dotations mais, à l'époque, alors qu'il y avait zéro masque, c'était complètement miraculeux !"
Repenser la coordination du tryptique
Si le CH explose, on ne tiendra pas non plus.Devant le succès de l'opération, les Ehpad du territoire ont emboîté le pas. Une semaine après la constitution du collectif domicile, les vingt-neuf établissements publics, privés et associatifs ont eux aussi uni leurs forces sur proposition du président du conseil territorial de santé. Avec la parution, entre-temps, d'une nouvelle doctrine d'acheminement des masques, le collectif Ehpad a réorienté ses efforts vers une deuxième priorité : la coordination entre Ehpad, domicile et hôpital.
Lucile Grillon, animatrice du collectif d'Ehpad
"Si le CH explose, on ne tiendra pas non plus", note Lucile Grillon, directrice du pôle personnes âgées pour la Fondation Arc-en-Ciel et animatrice du collectif. C'est devant cette conscience de leur interdépendance que les acteurs du sanitaire et du médico-social ont élaboré une stratégie commune. Objectif : assurer la disponibilité de lits à l'hôpital en fluidifiant les sorties d'hospitalisation vers l'Ehpad et le domicile. "À l'échelle du Territoire de Belfort, nous avons constitué deux équipes dotées de matériel "rare", formées et renforcées avec la coordination d'une infirmière pour assurer les sorties d'hospitalisation", détaille Philippe Weber. "En trois jours, nous avons bouclé un fil d'entrée d'urgence en Ehpad permettant d'accueillir temporairement les personnes âgées en sortie d'hospitalisation", poursuit Lucile Grillon. De quoi "aider le CH à nous aider", souffle-t-elle.
Chaque semaine, la responsable récupère les données de l'ensemble des Ehpad afin de transmettre à l'ARS et à l'hôpital les capacités d'accueil. "Chaque Ehpad du collectif a conservé sa propre politique d'admission et sa propre liberté mais nous agissons de manière coordonnée", poursuit-elle. Afin de ne pas créer de freins administratifs au déploiement de la solution, l'ARS et les conseils départementaux du Doubs et du Territoire de Belfort ont accepté de calquer le financement du dispositif sur le modèle Paerpa (soit 20 euros (€) par jour à la charge du résident et les 50 € restants financés par l'ARS).
Transférer l'expertise hospitalière
Alors que plusieurs Ehpad du territoire ont particulièrement souffert de l'infection de Covid-19, l'hôpital a également mobilisé ses ressources. Lignes dédiées au soutien des établissements démunis, équipes mobiles de soins palliatifs hospitalières, équipes mobiles de gériatrie, équipes mobiles d'infectiologie, puis équipes d'aide aux dépistages pour les prélèvements de masse... "Dès le démarrage, l'hôpital a transmis à l'ensemble du collectif des éléments d'aide à la prise en charge de leurs propres patients", explique Valérie Ganzer, directrice générale adjointe du CH Nord-Franche-Comté. Ou comment faire bénéficier aux établissements médico-sociaux de l'expertise hospitalière.Grâce au soutien de l'hôpital et des équipes du Centre d'appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cepias), les structures médico-sociales ont ainsi pu être outillées de "trousses Covid" pour la gestion des cas et les situations de fin de vie. Et pour cause, les résidents d'Ehpad ont pour beaucoup dû être soignés au sein même des Ehpad. "Alors que les premiers cas sortaient, on nous disait que 100% des résidents seraient pris en charge à l'hôpital mais, rapidement, nous avons compris que ce serait à nous de les accompagner jusqu'au bout car l'hôpital n'aurait pas assez de place", se remémore Lucile Grillon. Avec un total de 1 167 lits SSR compris et seulement 20 lits de réanimation — en plus desquels ont été ouverts 250 lits Covid et 40 lits de réanimation au plus fort de la crise — pour mille places d'Ehpad sur le territoire, la capacité hospitalière aurait de fait vite été saturée.
Si les collectifs n'avaient pas été créés, cela aurait été beaucoup plus compliqué.Charge donc aux équipes médico-sociales de prendre en main des cas plus lourds, avec tous les protocoles sanitaires qu'implique un tel suivi. "Nos professionnels d'Ehpad sont partis de loin car ce n'est pas notre cœur de métier", reprend Lucile Grillon. Sur un secteur où les formations aux précautions standard et l'application des protocoles se résument souvent à quelques cas de suspicion de grippe, le choc des cultures a été on ne peut plus violent. Port et utilisation des équipements de protection, gestion des déchets, déshabillage... "Les protocoles hospitaliers sont très bien faits mais ils impliquent des gestes très précis pour un personnel qui n'est pas formé à ça. On passe de mesures de bonnes pratiques à de la culture d'excellence."
Valérie Ganzer, directrice adjointe du CH Nord-Franche-Comté
Construction d'une compréhension commune
Alors que le CH Nord-Franche-Comté amorce désormais une première phase de décroissance, il serait, pour sa directrice adjointe, impossible aujourd'hui de revivre la crise sans cette organisation. "Si les collectifs n'avaient pas été créés, cela aurait été beaucoup plus compliqué", estime Valérie Ganzer. La responsable loue notamment la communication et la diffusion de l'information, facilitée grâce à l'identification de têtes de réseau. "Courroie de transmission" entre Ehpad, administrations d'État et hôpital, Lucile Grillon salue également le partage d'information entre Ehpad, allant des bonnes pratiques aux "astuces" déployées par les différents établissements.La vision idyllique d'une circulation fluide hôpital-Ehpad-domicile n'est pas devenue réalité.Cette inventivité et cette union, le CH espère les voir pérennisées. "La crise a été de nature à faire comprendre nos propres difficultés, alors que la sortie d'hospitalisation a toujours été assez compliquée. Avec l'épidémie, nous avons pu partager, comprendre... J'espère que l'on n'oubliera pas tout ce qui s'est passé, car on doit s'entraider pour assurer un parcours patient efficace." Un souhait qui semble difficilement réalisable pour certains.
Philippe Weber
"Une porosité apparaît entre deux mondes séparés par un mur", admet Philippe Weber avec satisfaction. Pour autant, poursuit-il, "on pourrait penser qu'on était unis à la vie à la mort, ça n'est pas le cas, soupire-il en évoquant les relations inter-Saad. Ça n'a pas duré du tout." Si "l'auto-organisation" du secteur en début de crise leur a permis d'obtenir des dotations avant l'heure, "quand les choses se sont normalisées, nous sommes vite retombés sur les difficultés structurelles liées à la géographie du territoire de santé". Un "étiolement" plus ou moins marqué selon les départements. "Chacun a beaucoup de travail, nous avons pu attirer l'intérêt des conseils départementaux et des ARS mais, sur le volet organisationnel, le collectif n'a pas vraiment fonctionné. Cela a permis des dialogues qui n'existaient pas avec les Ehpad et l'hôpital, mais la vision idyllique d'une circulation fluide hôpital-Ehpad-domicile n'est pas devenue réalité." Et d'espérer un jour pouvoir réactiver une réelle coordination, au service du parcours de la personne âgée.