[Reportage] Société
L'hôpital se révèle un excellent terrain d'apprentissage pour les musiciens
Au cœur de la réanimation de l'hôpital Cochin à l'AP-HP, la musique s'apprend à fleur de peau. L'association Kiosque à musique forme des musiciens professionnels à jouer en prise directe avec les patients et soignants. Ils se doivent en effet d'adapter leur pratique, ce qui enrichit par le sens et l'humain une technique déjà hors pair. Reportage.
Pour un musicien, aussi professionnel soit-il, jouer à l'hôpital ne va pas forcément de soi. Cela ne s'improvise pas non plus. Plus que sur scène, la première note n'est jamais facile. Que ce soit mi-juin dans un couloir devant le poste d'accueil à deux pas du poste soignants du service de médecine intensive et de réanimation de l'hôpital Cochin à Paris, ou encore plus parfois au sein même des chambres, les notes se jouent à fleur de peau. Pour réussir cette parenthèse musicale, alors qu'une vie d'urgence continue tout autour et des drames se jouent, pas de place pour l'improvisation. C'est justement ce travail que porte l'association Kiosque à musique auprès de jeunes musiciens déjà hors pair, et à travers elle l'un de ses cofondateurs, Vincent Courion. "Ils passent leurs journées à s'entraîner, répéter. Ils sont affûtés, préparent les plus grands concours pour entrer au conservatoire supérieur et là on leur dit : "Tout ce travail que vous faites, il doit vous servir pour lâcher prise et être complètement à disposition de ce que vous allez transmettre. Il vous faut pousser les nuances au maximum, être à l'écoute du ressenti…"" Pour les musiciens, cette parenthèse hors du temps offerte aux patients et soignants donne en retour du sens et de l'humain.
En pédiatrie, cela nécessite par exemple des instruments très mobiles et "qui permettent de faire avec, c'est-à-dire que les enfants puissent jouer avec nous dans un moment ludique de découverte de la musique", glisse Vincent Courion. Pas question pour autant de nuire au rendu. "Un pianiste qui joue dans une salle de concert au théâtre du Châtelet à Paris dispose d'un super piano. Or nous voulons permettre à ce même pianiste de venir à l'hôpital, ce qui implique d'acheter un instrument transportable mais avec une qualité sonore optimale pour le patient et un toucher parfait pour l'artiste." La crise sanitaire a également remis en lumière l'importance de posséder du matériel neuf et surtout qu'il puisse se nettoyer facilement pour se caler sur les normes d'hygiène.
En gériatrie, cela amène à proposer L'Hymne à l'amour. Mi-juin à Cochin, la liste des morceaux embrassait non seulement Mozart, Piazzola, Bartók, Debussy, Tchaïkovski, Verdi ou encore De Falla côté classique mais aussi Indochine, l'air révolutionnaire italien Bella Ciao et Piaf bien sûr pour conclure. "Ce sont des marqueurs à la fois émotionnels et sensoriels pour que la personne qui écoute puisse avoir des points de repère."
La manière de jouer a également toute son importance. Une chambre et un couloir n'ont pas du tout la même acoustique que l'auditorium d'un conservatoire. "Il faut faire attention à ce que les notes ne claquent pas et adapter toute de suite les nuances aux réactions du public, indique le clarinettiste, d'autant plus s'il s'agit d'une trompette, d'un cor ou d'un quintette. Nous devons être hyper en écoute de ce qui se passe autour de nous mais aussi parfois savoir rester à notre position d'artiste professionnel, qui fait que quoi qu'il arrive nous devons aller au bout. La seule raison pour laquelle on s'arrête de jouer, c'est si l'équipe soignante nous dit : "Stop, il y a une situation d'urgence." Cela nous est déjà arrivé. C'est pour cela aussi que nous sommes des musiciens professionnels." Ces derniers apportent avec eux "une extrême qualité", telle que celle jouée dans un concert mais adaptée au milieu hospitalier.
Enfin, le temps a toute son importance. Il faut oublier les douze minutes d'une sonate de Beethoven, les morceaux et leur présentation doivent être courts pour "aller directement à l'essentiel car le public est fatigué, en situation de soins et certains ont mal".
Par ailleurs, les étudiants qui se retrouvent ainsi à jouer ensemble d'ordinaire très souvent ne se rencontrent pas, sauf pour répéter dans une salle de l'hôpital quelques minutes avant de jouer. Les cuivres sont avec les cuivres, les cordes avec les cordes, etc. Ces sessions servent donc à créer "un point de convergence qui permet de les unir tous autour d'un même projet très fort humainement". L'initiative parisienne séduit désormais au-delà de la capitale. Des discussions sont en cours avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, de même avec le CRR de Lille. En tout cas, l'aspect bénéfique de ces interventions en milieu hospitalier n'est plus à démontrer pour le clarinettiste. "En dix-sept ans, ce n'est jamais arrivé que l'on ressorte en se disant que ça n'a servi à rien. Il y a toujours eu un facteur, un regard, un sourire, une larme, un truc, qui nous fait dire qu'il s'est vraiment passé quelque chose..."
En l'occurrence cette mi-juin, le trio embarque Valentin, seize ans de violoncelle, Auriane, treize ans de violon, et Paul, quinze ans de clarinette. Sur fond de bip permanent des alarmes et d'atmosphère parfois plombante, ils se produisent trois quarts d'heure à une heure. Dans ces lieux, il peut arriver qu'ils ne croisent personne ou que le chevet ne soit plus adapté car il y a eu un décès — ce fut le cas ce jour-là à Cochin avec deux décès en réanimation qui empêchaient de jouer en chambre —, mais la musique est toujours là. Vincent Courion cite l'exemple de soignants aux urgences de Cochin, "qui courent partout et d'un seul coup s'arrêtent pour nous dire : "On vous entend, on est avec vous, c'est super, on n'a pas le temps de se poser mais continuez, on est là…""
Pour un musicien, aussi professionnel soit-il, jouer à l'hôpital ne va pas forcément de soi. Cela ne s'improvise pas non plus. Plus que sur scène, la première note n'est jamais facile. Que ce soit mi-juin dans un couloir devant le poste d'accueil à deux pas du poste soignants du service de médecine intensive et de réanimation de l'hôpital Cochin à Paris, ou encore plus parfois au sein même des chambres, les notes se jouent à fleur de peau. Pour réussir cette parenthèse musicale, alors qu'une vie d'urgence continue tout autour et des drames se jouent, pas de place pour l'improvisation. C'est justement ce travail que porte l'association Kiosque à musique auprès de jeunes musiciens déjà hors pair, et à travers elle l'un de ses cofondateurs, Vincent Courion. "Ils passent leurs journées à s'entraîner, répéter. Ils sont affûtés, préparent les plus grands concours pour entrer au conservatoire supérieur et là on leur dit : "Tout ce travail que vous faites, il doit vous servir pour lâcher prise et être complètement à disposition de ce que vous allez transmettre. Il vous faut pousser les nuances au maximum, être à l'écoute du ressenti…"" Pour les musiciens, cette parenthèse hors du temps offerte aux patients et soignants donne en retour du sens et de l'humain.
Adapter le programme et les instruments
L'association a vu le jour à Lyon (Rhône) en 2008 à l'initiative du clarinettiste et de sa compagne, la pianiste Aurélie Monjanel. L'objectif premier était de jouer dans des lieux où il n'y a pas de musique. La connexion avec le milieu hospitalier s'est faite notamment par le biais d'une rencontre avec le Dr Philippe Zrounba, chirurgien ORL au Centre Léon-Bérard — il en est aujourd'hui le directeur des affaires médicales. Avec le premier président de l'association, le soliste de l'Orchestre national de Lyon, il avait participé à la rédaction d'une méthode à destination des jeunes clarinettistes. "Le travail consistait à jouer de la clarinette sous radio pour montrer la position de la langue. Des caméras étaient positionnées dans le nez et la gorge afin de voir, de façon morphologique, comment fonctionnait un instrument à vent", se rappelle Vincent Courion. Depuis, l'association a grandi. Présidée désormais par le praticien lyonnais, elle compte à ce jour près de cent artistes répartis sur quatre régions : l'Auvergne-Rhône-Alpes, la Bourgogne-Franche-Comté, l'Île-de-France et, dernière arrivée en novembre 2023, les Hauts-de-France. Les interventions se font par convention. Une quinzaine d'hôpitaux sont parties prenantes.Un pianiste qui joue dans une salle de concert dispose d'un super piano. Or nous voulons permettre à ce même pianiste de venir à l'hôpital, ce qui implique d'acheter un instrument transportable mais avec une qualité sonore optimale pour le patient et un toucher parfait pour l'artiste.À l'instar du site de Cochin à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), "nous essayons d'aller dans des lieux réputés difficiles où il n'y a pas de musique comme l'oncologie, la réanimation, les urgences, la pédiatrie et l'oncologie pédiatrique ou encore les soins palliatifs, explique le clarinettiste. Ce sont des services très peu ouverts sur l'extérieur avec un rapport au médical très dense et à l'humain de fait très fort. Rien que notre présence apporte une bouffée d'air." Autre particularité : les musiciens peuvent être amenés à jouer au chevet des patients. "Pour montrer patte blanche, nous avons commencé dans une salle de spectacle de l'hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc à Lyon. Très vite, nous nous sommes rendu compte que ce n'était pas ce que nous voulions faire. Le spectacle, c'est notre quotidien, on le pratique toute l'année sur les scènes de France et d'Europe. Là, nous souhaitions rencontrer les patients, tisser un lien et adapter notre programme et notre matériel aux lieux dans lesquels nous jouons."
Vincent Courion, cofondateur de Kiosque à musique
En pédiatrie, cela nécessite par exemple des instruments très mobiles et "qui permettent de faire avec, c'est-à-dire que les enfants puissent jouer avec nous dans un moment ludique de découverte de la musique", glisse Vincent Courion. Pas question pour autant de nuire au rendu. "Un pianiste qui joue dans une salle de concert au théâtre du Châtelet à Paris dispose d'un super piano. Or nous voulons permettre à ce même pianiste de venir à l'hôpital, ce qui implique d'acheter un instrument transportable mais avec une qualité sonore optimale pour le patient et un toucher parfait pour l'artiste." La crise sanitaire a également remis en lumière l'importance de posséder du matériel neuf et surtout qu'il puisse se nettoyer facilement pour se caler sur les normes d'hygiène.
Choisir des marqueurs émotionnels et sensoriels
La contextualisation ne s'arrête pas là, elle touche aussi au répertoire. "Nous sommes tous des musiciens professionnels, d'univers différents mais en général soit membres d'orchestres classiques, soit professeurs d'enseignement artistique en conservatoire (1). Nous avons tous une fibre et une formation classique mais il faut accepter de ne pas s'y cantonner, poursuit le clarinettiste. On ne débarque pas en disant : "Silence, nous allons vous jouer La Flûte enchantée de Mozart. Alors Mozart est né en 1756…" Au contraire, le but c'est de dire : "On va vous jouer de tout car vous êtes pluriel et on va vous expliquer pourquoi on vous le joue." S'il s'agit de La Flûte enchantée, on raconte qu'il y a un chant entre la clarinette et la flûte, la façon d'utiliser l'instrument et la résonance qu'elle suscite en nous, afin que l'auditeur, qui très souvent ne se déplace pas à la salle de spectacle, puisse avoir des pistes de lecture."En gériatrie, cela amène à proposer L'Hymne à l'amour. Mi-juin à Cochin, la liste des morceaux embrassait non seulement Mozart, Piazzola, Bartók, Debussy, Tchaïkovski, Verdi ou encore De Falla côté classique mais aussi Indochine, l'air révolutionnaire italien Bella Ciao et Piaf bien sûr pour conclure. "Ce sont des marqueurs à la fois émotionnels et sensoriels pour que la personne qui écoute puisse avoir des points de repère."
La manière de jouer a également toute son importance. Une chambre et un couloir n'ont pas du tout la même acoustique que l'auditorium d'un conservatoire. "Il faut faire attention à ce que les notes ne claquent pas et adapter toute de suite les nuances aux réactions du public, indique le clarinettiste, d'autant plus s'il s'agit d'une trompette, d'un cor ou d'un quintette. Nous devons être hyper en écoute de ce qui se passe autour de nous mais aussi parfois savoir rester à notre position d'artiste professionnel, qui fait que quoi qu'il arrive nous devons aller au bout. La seule raison pour laquelle on s'arrête de jouer, c'est si l'équipe soignante nous dit : "Stop, il y a une situation d'urgence." Cela nous est déjà arrivé. C'est pour cela aussi que nous sommes des musiciens professionnels." Ces derniers apportent avec eux "une extrême qualité", telle que celle jouée dans un concert mais adaptée au milieu hospitalier.
Enfin, le temps a toute son importance. Il faut oublier les douze minutes d'une sonate de Beethoven, les morceaux et leur présentation doivent être courts pour "aller directement à l'essentiel car le public est fatigué, en situation de soins et certains ont mal".
Créer un point de convergence entre musiciens
Pour apprendre aux musiciens à maîtriser ces particularités, l'association s'est rapprochée du Conservatoire à rayonnement régional (CRR) de Paris, qui dispose en effet d'un pôle santé (2). "Je suis convaincu que la mission du musicien va évoluer. Il devra aller de plus en plus à le rencontre de ces publics dits "empêchés" pour faire entrer la culture partout et la décloisonner, relate Vincent Courion. Or les étudiants du CRR sont en demande car le Covid-19 a démultiplié leur envie d'aller dans ces lieux où il y a très peu d'action musicale et plus largement l'art dramatique." Cette ouverture témoigne combien rien n'est imperméable dans la musique. Ce qui se vit à l'hôpital ne peut que nourrir leur façon d'appréhender ensuite une prestation sur une scène de spectacle. Cela transforme la façon de jouer : "On est plus à l'écoute de l'autre et plus en cohésion avec son voisin d'orchestre."À l'hôpital, on voit le public, il est face à nous. On a tout de suite ses réactions, c'est immédiat. Et puis, il n'est pas éduqué, il n'y a pas de filtre. Il ne nous attend pas, il n'a pas payé sa place pour nous entendre. Il va falloir aller à lui. Pour des jeunes musiciens, c'est extrêmement stimulant.En effet, "le travail à l'hôpital est rempli d'émotions et de tellement d'autres choses. On perd parfois ce sens-là dans une salle de spectacle, poursuit le clarinettiste. Déjà, on est ébloui par la lumière. On ne voit pas le public, on l'entend respirer et applaudir, on est dans notre bulle. À l'hôpital, c'est tout l'inverse. On le voit, il est face à nous. On a tout de suite ses réactions, c'est immédiat. Et puis, il n'est pas éduqué, il n'y a pas de filtre. Il ne nous attend pas, il n'a pas payé sa place pour nous entendre. Il va falloir aller à lui. Pour des jeunes musiciens, c'est extrêmement stimulant."
Vincent Courion, cofondateur de Kiosque à musique
Par ailleurs, les étudiants qui se retrouvent ainsi à jouer ensemble d'ordinaire très souvent ne se rencontrent pas, sauf pour répéter dans une salle de l'hôpital quelques minutes avant de jouer. Les cuivres sont avec les cuivres, les cordes avec les cordes, etc. Ces sessions servent donc à créer "un point de convergence qui permet de les unir tous autour d'un même projet très fort humainement". L'initiative parisienne séduit désormais au-delà de la capitale. Des discussions sont en cours avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, de même avec le CRR de Lille. En tout cas, l'aspect bénéfique de ces interventions en milieu hospitalier n'est plus à démontrer pour le clarinettiste. "En dix-sept ans, ce n'est jamais arrivé que l'on ressorte en se disant que ça n'a servi à rien. Il y a toujours eu un facteur, un regard, un sourire, une larme, un truc, qui nous fait dire qu'il s'est vraiment passé quelque chose..."
Une quarantaine de musiciens pour un cursus en deux modules
Une première année d'existence. La formation en deux modules mise en place au CRR de Paris mobilise une quarantaine d'étudiants, tous en cycle préparatoire à l'enseignement supérieur, quelques-uns en pôle supérieur. Le premier les amène à jouer dans une salle de spectacle d'un hôpital, par exemple à Broca à l'AP-HP, où ce sont les patients qui descendent. Ils sont en oncogériatrie, unité Alzheimer et psychogériatrie. Cette première interface assez douce et autour d'un répertoire relativement court sert à travailler la médiation culturelle. La deuxième étape, c'est l'exemple de Cochin, avec trois étudiants qui d'eux-mêmes ont montré leur intérêt pour aller jouer au chevet ou à tout le moins dans un service de soins très médicalisé.En l'occurrence cette mi-juin, le trio embarque Valentin, seize ans de violoncelle, Auriane, treize ans de violon, et Paul, quinze ans de clarinette. Sur fond de bip permanent des alarmes et d'atmosphère parfois plombante, ils se produisent trois quarts d'heure à une heure. Dans ces lieux, il peut arriver qu'ils ne croisent personne ou que le chevet ne soit plus adapté car il y a eu un décès — ce fut le cas ce jour-là à Cochin avec deux décès en réanimation qui empêchaient de jouer en chambre —, mais la musique est toujours là. Vincent Courion cite l'exemple de soignants aux urgences de Cochin, "qui courent partout et d'un seul coup s'arrêtent pour nous dire : "On vous entend, on est avec vous, c'est super, on n'a pas le temps de se poser mais continuez, on est là…""